En 1964, élève régisseur au centre d'art dramatique, je fais répéter quelques camarades dans une salle du « 21, rue Blanche ». Jean Meyer entre, écoute, trouve le texte intéressant et me demande quelle est cette pièce. Je lui réponds « il s’agit de La Fuite de Tristan Tzara.» Il entre dans une colère noire. J’évite le renvoi grâce au soutien d'une bonne partie de mes professeurs, particulièrement Lucien Pascal et Jacques Gaulme (qui cosigne la mise en scène) et à celui, plus discret mais pas moins efficace, de notre directrice Mademoiselle Lehot. La pièce est créée au Théâtre Gramont dirigé par René Dupuy, alors professeur rue Blanche.
A l’époque, la cérémonie quotidienne de l’appel de l’ensemble des élèves existait encore. Elle avait remplacé le salut au drapeau qui était pratiqué au temps ou Michel Serrault fréquentait l’établissement. La discipline était plutôt rigoureuse. Alors d’où vient que, malgré tout, il me reste des trois ans passés à ce qui devait devenir l’ENSATT un souvenir d’harmonie et de liberté ? Les contributions d’anciens élèves (près de soixante) que nous avons reçues durant la préparation de ce livre m’ont quelque peu éclairé.
Dès le concours, tout était fait pour que nous ne prenions pas la grosse tête : Bernard Charnacé, reçu en 1963, raconte : « la directrice, mademoiselle Lehot, et Jean Meyer, le directeur, déclarent en cœur : « ceux qui sont admis le sont, non parce qu'ils sont les meilleurs, mais parce qu'ils sont les moins mauvais. » Quelques années plus tard (1969), l’esprit reste le même pour le concours des scénographes. Selon Jean-Pierre Clech : « la matinée de l’examen était consacrée à une présentation de l’école par les professeurs et des élèves de seconde année. Le tableau dressé n’était pas tout rose : Un avenir professionnel en dents de scie, avec plus de bas que de hauts, n’espérez pas gagner votre vie confortablement, le succès ne sera que pour certains… C’était tellement encourageant que la moitié des candidats ne se présenta pas à l’épreuve de l’après-midi ». Mais l’attente des résultats est aussi l’occasion que se créent des liens. Ainsi, Philippe Ogouz se remémore : « je m'étais fait tout de suite un ami et nous ne devions plus nous quitter. Il se prénommait Bernard et tout à fait apeurés nous attendions de lire ou pas nos noms sur la feuille collée sur la porte. Son nom était Murat, il poussa un cri de joie et me laissa me faufiler pour apercevoir le mien. »
Après cette épreuve, nous nous sentions tous privilégiés d’être admis dans ce lieu magique : « cet établissement du service public de l’Education Nationale était une chance pour un garçon qui, comme moi, venait d’une famille qui n’était – mais alors pas du tout – dans le milieu du spectacle... » nous dit Emmanuel Serafini. « Cet hôtel particulier, vaguement rococo, plein d’escaliers, d’anciens salons, de recoins secrets, (il y avait même un petit théâtre et un jardin), était, en dépit de la discipline censée y régner, un lieu de rires de discussions, et parfois aussi de drames. Ce lieu était une sorte de cocon où l’on pouvait affûter ses armes avant de plonger dans la vraie vie, celle du travail et des projets personnels » (Christine Laurent) « Lieu historique, figé, magique, un peu inquiétant, touchant, où se croisaient, dans un désordre étrange et industrieux, poètes, acteurs, artisans, administrateurs, élèves ou professionnels. C’était un squat de luxe et une maquette hyper réaliste du monde du spectacle, où la raison et le pratique étaient continuellement confrontées à la fantaisie et l’irrationnel. » (Brigitte Tribouilloy) « Un escalier conduisait à une rotonde vitrée qui ouvrait sur un jardin clos, le cœur et le centre de la maison, un espace dont les dimensions intimes, presque familiales, protégeaient encore des sédiments d'enfance. Un sas pour passer d'un pays à un autre, s'emplir les poumons d'un nouvel état. » (Anne Bellec) « Aller au "Centre" le matin, c’était comme aller à son théâtre ou à la maison…/… son atelier de costumes, de décoration, ses cours de régie, d'escrime, d'histoire du théâtre, de comédie , le bureau du secrétaire général, celui de la directrice, mademoiselle Lehot, où l'on pouvait être entendu, et aussi sa cantine, et encore ses recoins où l'on se retrouvait pour répéter et rabâcher nos auteurs classiques et modernes, son petit théâtre où nous montions et présentions nos spectacles, et enfin, nos professeurs... Tout cela avait l'atmosphère d'une ruche joyeuse et passionnée emplie de notre désir de théâtre. » (Gilbert Beugniot)
La ruche, le mot est lancé, on en retrouvera l’idée dans de nombreux témoignages : « ce qui était formidable au Centre c’était l’ambiance, la joie de tous les élèves, une effervescence dans les salles où il n’y avait pas de professeur et où l’on travaillait soit les scènes soit des pièces et….. Une telle envie de jouer ». (Rosine Proust) « De ce mélange d’élèves apprentis, acteurs, metteurs en scène, scénographes, régisseurs, je garde l’impression d’une sorte de jardin d’enfants pour futures grandes personnes. Les visages, les corps, les postures, tout était singulier, nouveau. Tout était à entreprendre… » (Christine Laurent) « Les clans se formaient, les amitiés se forgeaient et les amours variaient. Le Bonheur à l’état pur. Je n’y ai connu aucune jalousie, mesquinerie ou engueulades. Nous étions soudés, complices et conscients de notre invraisemblable chance. Ce lieu possédait la grâce ». (Kristina Manusardi) « Mes deux ans d'éducation au métier de décorateur de théâtre furent plutôt joyeux, bien aidé, je dois le dire, par Maître Gaulme. Certainement y ai je appris quelque chose mais dans mes souvenirs je n’ai que des fulgurances de facéties de tous ordres (de rires, d’amours, de blagues). Et, finalement … après une longue expérience dans cette activité, ce n’était pas trop éloigné de la vraie vie de saltimbanque » ! « Je revois le petit théâtre tout en haut, où j’ai souvent joué, le jardin du premier étage, lieu de complots divers, la cantine en sous sol, qui a vu parfois des batailles de fromage blanc d’anthologie, l’atelier des décorateurs, où l’on se réunissait souvent après le déjeuner, pour jouer de la guitare » (Gilles Blumenfeld) « Ce qui était exceptionnel au centre, c'était la théorie et la mise en pratique instantanée. On peut dire que le centre ça été ma première troupe car, contrairement au conservatoire, on se retrouvait tout de suite en situation d'artistes élèves interprètes, c'était la boîte magique : il n'y avait pas uniquement l'apprentissage de la comédie,... Il y avait tout, toute la famille, c'était déjà tout une troupe. Ainsi on entrait donc tout de suite de plain-pied dans ce qui allait être notre vie. » (Patrick Préjean) « Entre les cours, les couloirs bruissaient de répétitions et les ateliers (décors et costumes) étaient comme des ruches…/..Cette période appartient sans aucun doute aux plus belles années de ma vie. » (Catherine Siriez) « Je trouvais également merveilleux de pouvoir visiter le travail des autres divisions ; scénographes, costumiers, éclairagistes et administrateurs. …/… Toutes ces sections confondues participaient à donner une ambiance inoubliable dans cette maison lumineuse, remplie de vie, de gaité et de chaleur. » (Marie-Christine Laurent). La cantine est une institution importante : tout le monde y déjeune le midi, ceux d'entre nous qui viennent de province y dînent également le soir. Cela se passe dans les sous-sols (très belle caves voûtées). C'est un lieu où se lient des complicités qui souvent perdureront par la suite. L’inénarrable madame Dupuy (orthographe incertaine) est la maîtresse de cette principauté. À chaque repas, elle passe entre les tables, comme les chefs des grandes maisons, et questionne chacun sur la qualité de la cuisine. Il ferait beau voir de répondre négativement ! Ce personnage populaire, haut en couleurs, semble sorti d'un film de Prévert et Carné, ses coups de gueule sont impressionnants. Il reste qu'on y consomme une cuisine bourgeoise tout à fait honorable et que cette cantine nous donne un peu l'impression d'être en famille.
Les interdits font également partie du charme : « Nous étions à l'âge du flirt. Il existait au deuxième étage d'anciennes chambres froides désaffectées, c’était un lieu interdit ou nous nous rendions en couple pour transgresser un tant soit peu les interdits. » (Patrick Préjean) « Par une trappe située dans les coulisses, nous accédions à une terrasse interdite où nous allions prendre des bains de soleil clandestins. » (Mireille Calvo Platero)
Nous étions tous conscients de bénéficier de professeurs d’exception, parmi eux Henry Rollan est celui qui est le plus souvent cité « Je le revois articuler, ouvrant très peu la bouche, avec ses mains si vives et son auriculaire pointé comme lorsqu’il jouait le Cardinal d’Espagne ou le maitre de Philosophie au Français.» (Rosine Proust) « Il était avant tout un éveilleur de l'esprit du corps, du cœur également, il donnait à chacun des clés pour ouvrir les portes de l'imagination et maîtriser les techniques qui permettent l'envol de la création. » (Bernard Charnacé) « On avait tout simplement envie de l'appeler maître et nous le faisions sans que personne nous l'ait demandé. » (Patrick Préjean) « (Il) serrait les mots comme un aigle sa proie, et nous guidait dans la conscience. Ce qu'il nous a enseigné n'avait rien d'académique, c'est grâce à son exigence que j'aie franchi l'étape du conservatoire. » (Anne Bellec)
« Je me souviens des cours d'Henri Rollan, son entrée, gitane maïs au coin des lèvres : il envoyait son chapeau sur la tête de La Thorilliére (Chaque salle portait le nom d’un comédien de la troupe de Molière et était dotée, en général sur une cheminée de marbre, d’un buste en plâtre de celui auquel la salle était dédiée. -N.D.L.R.-) il s'asseyait à son bureau, fredonnant une chanson de Maurice Chevalier puis il rassemblait toutes ses forces avec quelquefois un cri, tapait du poing sur la table (il souffrait d'un cancer). C'était les heures de bonheur, avec un maître exigeant, dur parfois, d'une immense culture. Il était éblouissant l'œil incisif, ne laissant rien passer. Son enseignement était un pur bonheur. Je travaillais Bérénice, la scène avec Titus : « Ah seigneur ! Vous voici./ Eh bien, il est donc vrai que Titus n'abandonne ? / Il faut nous séparer. Et c'est lui qui l’ordonne. » Je ne suis jamais allée plus loin pendant tout le cours, m'arrêtant à chaque fois qu’Henri Rollan me donnait des indications, parlant de chair palpitante, de musique, de Debussy... À la fin du cours j’étais épuisée, débarrassée de toutes les scories. Il m'a dit : « ça commence à se dessiner » avec un sourire affectueux. J'étais heureuse ! » (Nicole Falcon)
Beaucoup parlent de Robert Manuel en termes parfois contrastés : « Il avait la dent dure et la plaisanterie facile aux dépens de certains, pendant que d'autres, pour plaire au Maître, s'esclaffaient à chaque bon mot. » (Alain Léonard) « Le premier contact avec lui dans la classe m'a surpris il était arrivé en chapeau haut de forme et une cape : il était habillé à "la Mandrake" » (Jean Knauth) « (Il) n’admet aucun retard et ferme la porte à clé dès le début du cours. » (Serge Moisson) « (Sa) grosse blague était de dire : « bonjour Georges » à Jean-Louis Thamin parce que ça faisait : G.Thamain (j’ai ta main !) Et il a réitéré cette finesse à chaque cours. ». (Fabienne Thouand). José Valverde a un avis plus positif : « Devant Robert Manuel, mon professeur, Je peux dire que j'y mets toutes mes tripes, tout ce que j'ai dans mon petit cœur qui bat la chamade, je tremble d'émotion et j'entends : « Tes panards, Valverde !». Une drôle d'épreuve ! Une sacrée épreuve ! Ma première grande leçon de théâtre ! Beaucoup d'élèves boudent le cours. Il fait des remarques brutales, sans concession. Les filles en particulier ont du mal à le supporter, certaines sortent de la classe en larmes parce qu'après la grande scène de Célimène, elles s'entendent dire par Manuel : « Tes roberts ! Sors tes roberts ! » C'est comme pour moi « Tes panards ! » Mais, à chaque fois, quelle finesse, quelle justesse dans la remarque, au-delà de la brutalité et de la grossièreté voulues ! En effet, Britannicus est un jeune héros conquérant et intrépide il ne peut pas parler les pieds en dedans. Cette façon de se tenir pieds en dedans, outre quelle est franchement ridicule, montre que l'acteur est loin, bien loin, d'être dans l'état intérieur du personnage. De même pour Célimène. Il faut ignorer l'importance des seins dans l'attirail de séduction des femmes coquettes pour jouer Célimène en oubliant sa poitrine. »
Jacques Gaulme, était également de ceux que l’on n’oublie pas : « Parmi les rencontres, une m’a marquée pour la vie : Jacques Gaulme. Il était notre professeur de scénographie. Il fut bien plus : un éveilleur, un accompagnateur, un acteur, pour certains d’entre nous qui étions travaillés par les idées nouvelles, par les rêves d’une autre société. Nous voulions changer tout. Gaulme n’était pas contre, au risque d’avoir à se justifier où de contrarier l’administration assez conventionnelle qui présidait à l’époque. Il a participé avec quelques-uns d’entre nous à des aventures théâtrales audacieuses. C’était un artiste, et quelqu’un qui non seulement « avait l’œil », mais aussi, qui savait écouter et sentir. » (Christine Laurent) « Je me souviens de notre grande liberté, sur les choix de techniques concernant les projets que nous devions réaliser. Rien ne nous était imposé. On pouvait utiliser la gouache, le crayon, l'huile, et faire à notre choix des esquisses sur papier ou des petits modèles en volume. Le Maitre nous dispensait tout au plus quelques conseils. Liberté d’échange d’idées entre nous, mais aussi avec les jeunes metteurs en scène, comédiens et régisseurs. » (Claudie Gastine) « L’atelier déco de la rue blanche en 1974 comptait seulement 6 étudiants. Un privilège de faire partie de cette petite famille avec le professeur de scénographie hors du commun…/…. Je voudrais rendre hommage à cet homme magnifique, d’un grand talent et surtout d’une très grande gentillesse. » (Dominique Lajous)
« Fin 1963, c’est à partir de la notation de la lumière apprise lors des cours de régie que j’ai commencé à concevoir les partitions de mes premières « Electrographies » et entrepris de rédiger une pièce de théâtre en rapport avec la forme nouvelle qu’Isidore Isou donnait à cet art. Jacques Gaulme, que j’ai informé en premier de ma découverte, s’est montré très intéressé par les conceptions de ce mouvement et, avec lui, Claude-Pierre Quémy, également en décoration, qui venait avec moi de passer en classe de régie…/… leur enthousiasme les conduisit immédiatement à participer avec leurs œuvres à plusieurs revues lettristes…/… et à plusieurs expositions comme la Biennale de Paris et, un peu plus tard, à diverses manifestations poético-musicales lettristes au Théâtre de l’Odéon et à l’Ambigu. La nouvelle de ces activités s’est propagée rapidement dans le Centre, auprès de la directrice jusqu’aux différents professeurs au point de déclencher des débats animés …/…Le comble fut atteint le 17 janvier 1964, lors de l’organisation au Conservatoire d’une soirée intitulée Hommage et redécouverte du Théâtre Dada-Surréaliste au cours de laquelle j’avais recréé et mis en scène, dans des décors de Roberto Altmann, la pièce de Georges Ribemont-Dessaigne, Le Bourreau du Pérou dont les répétitions avaient préalablement été réalisées, il me semble, avec l’accord de la directrice, dans le centre avec plusieurs de ses élèves - Francine Comiot, Bernard Spiegel, Pierre Battini, Claude Giraud -, et notamment, la participation de Gaulme et de Quémy qui y tenaient les rôles principaux. Un compte-rendu détaillé de cette manifestation a été publié dans un numéro de Paris-Théâtre qui, peu de temps après, fera également écho à La Fuite, de Tristan Tzara, que ces derniers ont mis en scène et interprété au Théâtre Gramont, toujours avec le concours des élèves du centre ( Rosine Proust, France Roy, Gilles Blumenfeld)… » (Roland Sabatier)
Beaucoup sont passés du cours de scénographie à celui de régie, dirigé par Lucien Pascal, comme en témoigne Guy-Claude François : « J’ai eu l’intuition, la pédagogie ambiante laissant largement l’aspect pratique de côté, de suivre des cours de régie avec Monsieur Pascal pour m'initier aux techniques du théâtre. Et, je me félicite de cette démarche, la suite m’ayant donné grandement raison. » « Lucien Pascal, comédien et directeur de la scène à la Comédie Française enseignait la régie via la mise en scène. Il nous a transmis l’humilité, valeur première au service du texte du poète auteur d'une œuvre. Un homme cultivé et généreux que tout le monde aimait et respectait…/…. L'Homme et l'Artiste, fut un exemple et un modèle ». (Alain Léonard) Il faudrait pouvoir citer tous les noms : Jean Le Goff, Berthe Bovy, Paul Blanchart, Marguerite Boulay, Georges Negluau, Pierre Betoulle et bien d’autres… Il faudrait parler du festival d’Egletons en Corrèze ou tout le centre se déplaçait au mois de mai « dont nous partîmes si émus, certains d'entre nous jusqu'aux larmes » (Gilbert Beugnot).
Une fois entré au Centre, l’accompagnement, le suivi individuel tout était fait pour que nous trouvions notre place pour devenir des gens de théâtre y compris, et c’était courant le passage d’une section à une autre. Ainsi Fabienne Thouand entrera en section costume puis en décoration et enfin en régie. Après une riche expérience professionnelle on la retrouvera professeure pour la section habilleuses. Le parcours de Maryvonne Schiltz n’est pas moins singulier :
« Puisqu’elle veut absolument être dans un théâtre, il y a les costumes, eh oui ! Pour la section comédie, il faut le bac ! » : Conseil d’orientation quelque peu approximatif ! Mais qu’importe…17 ans : diplômes de couture en poche, - Adieu Dior et consorts… - Bonjour les planches ! Une année sous le regard scrutateur de Marguerite Boulay, à bichonner l’apparence de ceux qui vont tenter de porter le verbe du poète. Une année à peau…finer la peau des personnages : enrichissement, plus tard, lorsque la comédienne et la costumière se réuniront pour un même partage…./… « Je cousais… je cousais…mon cœur… » Et cette envie récurrente qui vous « chatouille… qui vous gratouille ». Eh bien ! Il suffisait de s’exprimer : bienveillance de Marguerite touchée, malgré tout, de ce changement de cap, m’orientant vers Teddy Bilis, l’œil amusé : monologue un « Caprice » d’Alfred : la bourse…et la vieeee.…/…Deux années de magie, les planches se font plus présentes : Antigone, Camille (les premières d’une belle collection) dans ce théâtre de poche trop petit pour contenir la fureur d’Horace, …/…Comment cela pouvait-il fonctionner ? Entassés dans cette bonbonnière, sorte de cabine des Marx Brothers, sans confort…Que du bonheur ! Foin de toutes les commissions de sécurité, entouré d’une équipe administratrice, finalement bienveillante, malgré tout, lieu unique de liberté, de rêve, de compagnonnage, saveur unique d’humanité : fondement même du théâtre, non ? » (Maryvonne Schiltz)
Nous étions, en effet, entassés dans une bonbonnière mais une certaine harmonie s’y était créée. Les techniques évoluaient, la sécurité imposait ses contraintes, avec l’annexion du théâtre 347 les conditions allaient évoluer, c’était inévitable. Eric Jakobiak, élève en 1986 note : « le local du 21, rue Blanche était destiné aux techniciens et administrateurs. Les comédiens se retrouvaient au Théâtre 347 de la rue Chaptal. Cet isolement nous apportait une autonomie appréciable -notamment dans l’utilisation des salles pour répéter- mais ne favorisait pas les rencontres entre artistes et techniciens. » Et Gérard Linsolas, élève en 1977, revenant cinq plus tard en tant que prof, relève le changement : « Les murs étaient les mêmes et l’atmosphère avait changé. Il n’y avait plus de gardien dans la loge du rez-de-chaussée à droite en entrant. Les comédiens étaient au 347, les techniciens, pour des raisons de sécurité, avaient emporté leurs machines ailleurs, la classe de régie et d’administration avait été scindée en deux ».
Et après ?
« Aujourd’hui encore lorsque je suis en répétition ou sur scène c’est à ce lieu que je pense, ce lieu qui m’a donné le goût de ce métier et de l’art indispensable à ma vie. » (Patrik Lemaire). « Dans ma loge, les soirs de spectacle, le petit génie d’Aladin, enfin, de la salle Lagrange vient me visiter et il me donne la clé, l’histoire, l’envie, le désir. Et dans ma tête, le petit violon repart et l’archer glisse sur les cordes et le tempo reprend. Et la page blanche de la rue blanche commence à s’animer. Et Lagrange, La Thorillière, Baron, Annick B., Patrick P., Maryvonne S., Marlène J. et les autres, dans un même élan collectif, nous saluons tous. Le rideau se ferme mais je crois qu’il y aura encore beaucoup de rappels. » (Henry Moati)
Ce texte a été copieusement nourri des témoignages de : Martine André, Anne Bellec, Gilbert Beugniot, Michelle Blaise, Gilles Blumenfeld, Yves Brunier, Mireille Calvo Platero, Bernard Charnacé, Jean-Pierre Clech, Sylvie Dudragne, Armand Eloi, Nicole Falcon, Guy-Claude François, Claudie Gastine, Jean-Michel Gautier, Gilles Gleizes, Anne Girouard, Michèle Godon, Jacques Haurogné, Eric Jacobiak, Roger Jouan, Jérôme Kaplan, Jean Knauth, Dominique Lajous, Claudia Lapaco, Christine Laurent, Marie-Christine Laurent, Patrick Lemaire, Alain Léonard, Gérard Linsolas, Kristina Manusardi, Henry Moati, Serge Moisson, Gérard Morlier, Philippe Ogouz, Martine Pibault, Patrick Préjean, Rosine Proust, France Roy, Roland Sabatier, Doride Salti, Emmanuel Serafini, Maryvonne Schiltz, Catherine Siriez, Fabienne Thouand, Brigitte Tribouilloy, José Valverde, James Van der Straeten, LaurentVercelletto, Eric Vigner, Brigitte Virtude, Dany Weil
Ils sont consultables dans leur intégralité sur le net (lien sur le site de l’Ensatt) et à la bibliothèque de l’Ensatt