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12 juin 2014 4 12 /06 /juin /2014 13:29

...Je suis entré à l'ENSATT, que l'on appelait moins pompeusement: la rue Blanche, ou plus officiellement le Centre d'Art Dramatique, en septembre 1964. J'étais déjà "entré" au théâtre en 1960. En trichant sur mon âge, je fus d'abord élève de José Valverde, puis, rapidement et simultanément de Pierre Debauche ... tout en continuant mes études au lycée ! Ceci pour une simple raison: mettre un pied dans le métier. ( Je n'avais jamais eu l'intention d'être comédien ).Et, tout en suivant les cours et en jouant des petits rôles, je travaillais sur les décors et les costumes des spectacles, pour le plaisir. Mon seul but étant de devenir décorateur de théâtre !

Renseignements pris sur une éventuelle école, on m'indiqua "La rue Blanche". Mais on me conseilla de m'y inscrire dès l'âge minimum requit et les diplômes nécessaires obtenus. Ce concours était réputé impossible à réussir la première année: sur sept cents dossiers de candidatures, dix élèves par classe étaient admis !!! Sauf que... je fus reçu dès ma première tentative, en classe de costumes ! Après une année chez Mademoiselle Boulay, je demandais à entrer dans la classe de décors. Ce qui me fut refusé, après hésitations, par la direction. C'était sans compter sur maître Gaulme, qui m'autorisa à me glisser dans l'atelier des décorateurs pour les cours importants ! Pendant les classes, il arrivait fréquemment que le surveillant général vienne annoncer qu'un théâtre, une compagnie ou un atelier demandait un ou plusieurs élèves pour aider à la finition d'un décor ou d'une série de costumes. Il s'agissait, bien sûr, de travaux à effectuer en dehors des cours, le soir, le week-end et, souvent, la nuit. Ces "missions" avaient un triple avantage: nous permettre de gagner un peu d'argent, nous faire découvrir le métier dans ses réalités et nous mettre un pied dans ce monde professionnel que nous espérions. Et si nous savions nous intégrer dans ces équipes nous nous faisions de bonnes relations pour l'avenir. J'ai toujours été partant pour ce genre de mission et, malgré les heures de travail que nous ne comptions plus, je ne l'ai jamais regretté. Sur le terrain, en plus des cours, nous nous frottions aux réalités du métier et nous saisissions mieux ce qu'on appelait alors " avoir le sens du théâtre ".

C'est grâce à ces missions que j'eus le bonheur, et la chance, de rencontrer et de travailler avec plusieurs décorateurs, metteurs en scène, musiciens, chorégraphes dont Janine Charrat qui, après que j'eus passé trois jours et deux nuits pour finir un décor et restaurer quelques costumes, me demanda d'être le décorateur de sa compagnie, le Ballet de France, avec lequel j'ai travaillé pendant sept ans.

Un autre cadeau de l'École était la distribution de cartons d'invitations pour assister aux représentations des nouveaux spectacles des théâtres publics et privés. Et nous ne nous en privions pas ! Générales à la Comédie Française, à l'Odéon, à Antoine, à L'œuvre, ... au TNP, un des rares théâtres publics de cette époque; mais ça allait changer...

Nous étions des privilégiés et, le plus extraordinaire, c'est que nous le savions ! Avec un peu de bonne volonté et beaucoup d'abnégation, nous avions un enseignement complet qui nous préparait à entrer, courageusement, dans ce métier qu'on disait aléatoire. Apprentissage théorique et pratique dans les classes, professionnel par les missions extérieures, artistique en nous faisant spectateurs des nouvelles mises en scène.

J'ignore si Pierre Sabbagh avait prévu ces élargissements de l'enseignement quand il a créé le Centre d'Art Dramatique, mais nous lui devons reconnaissance et gratitude pour avoir créé cette école unique en son temps. Qui, de nous, n'a pas vu s'ouvrir les portes au seul titre d'ancien élève de la rue Blanche ?

Ce qui nous confortait dans l'idée que nous avions bien choisi notre métier et l'école pour y parvenir, c’était aussi l'effervescence et l'émulation qui régnaient dans la maison: les interminables discutions dans le jardin, après les cours, entre ceux qui affirmaient que le prince Hamlet était fou, et ceux qui avançaient qu'il simulait la folie ! (sous l'œil amusé de Jean Meyer, Robert Manuel ou Teddy Billis ... ); il fallait créer un nouveau théâtre, (mai 68 n'était pas loin...), après que l'on eut sacrifié la Comédie Française sur le bûcher des vanités; puis construire des salles en banlieue pour y exporter le théâtre ... ce à quoi nous avons tous participé, un peu plus tard. Sans compter ceux qui se lançaient dans la création d'une compagnie et qui distribuaient rôles et emplois dans les couloirs; et ceux qui exerçaient leurs talents naissant dans le cadre des fêtes de fin d'année, en interprétant des sketches de leur cru; je pense à Rufus ... entre autres.

Je n'ai jamais quitté ce métier. Je l'exerce toujours, plus ou moins, ayant élargi mon champ d'action à l'écriture, la mise en scène, et la direction artistique. À la Bibliothèque historique de la Ville de Paris, j'ai été scénographe et commissaire d'expositions sur le théâtre, dont une que j'ai dédié aux grands décorateurs de théâtre des années 1950-1980, Les Bâtisseurs de Rêves, que j'accompagnais du livre éponyme. *

Des bâtisseurs de rêves... c'est ce que l'ENSATT nous a appris à devenir et que, j'espère, nous restons, dans chaque métier du spectacle vivant, pour les spectateurs.

Roger Jouan

* Les Bâtisseurs de Rêves, Éditions Paris bibliothèques, Paris, mars 2003.

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