1960 – La guerre d’Algérie – le bateau – un taxi et Paris.
Avec mon Google earth de l’époque je zoom. Place Estienne D’Orves, Place Blanche encore …., et la vous ne pouvez pas vous tromper parce c’est là .. Maintenant le 21 – Travelling – et l’on rentre..
Comme dans une femme qu’on va aimer, on ne veut plus en sortir. Parce qu’elle vous apprend à aimer, à parler, à s’ouvrir, à réfléchir, à comparer et à s’amuser, pardon, à jouer.
« Non Patrick (Préjean), on ne va pas à la cantine aujourd’hui. On va apprendre son texte et faire de la guitare. On va jouer le Blues. "Oh rage, Oh désespoir, oh vieillesse ennemie". Tu as vu comme ça colle ? "Qu’est ce donc, qu’avez-vous, laissez moi je vous pris …" ça colle aussi. »
« Maître Gardère, laissez nous encore un peu, on vous donne la salle dans cinq minutes. D’accord on garde les rapières. »
« Guy-Claude (François), ne laisse pas traîner tes toiles au sol. Je sais qu’elles sèchent. Tant pis, je marche dessus. Je ne peux plus passer sinon et je suis en retard.
Ça y est, il a fermé la porte Manuel (Robert). « Merde, j’avais tout appris. Rimbaud et Verlaine. Hier, il a fermé la porte juste à l’heure. Il m’a donné un billet pour aller acheter des croissants pour toute la classe. C’est de la discipline ou il veut emmerder. Je ne comprends pas. Je ne sais pas ce que ça veut dire. Tout compte fait, j’entre chez Rolland (Henri).
« Dis moi mon petit (avec sa diction parfaite et son prognathisme), pourquoi ton géronte est tout courbé, tout voûté ? »
« Mais parce qu’il est vieux maître. »
« Regarde moi mon petit. Est ce que je suis courbé et voûté moi ? »
« Non maître »
« reprend. N’oublie pas que tu dois jouer pour les aveugles et pour les sourds. »
« Respire Maryvonne. Si tu n’as plus d’air, triche un peu. Respire et va au bout du vers, De l’intention. »
- "Elvire à ce moment n’est qu’une apparition, elle ne touche plus terre. Elle a renoncé à tout. Elle est entre l’humain et le divin. "
Je ressors. Attention à droite. Non, je ne frappe pas. Je rentre. Elles sont toutes là. Belles comme le jour tirant l’aiguille, cousant passementeries et toile de lin …Les costumières. « Ah, tu es là toi »
« Oui Marguerite (Boulay) »
« Tu vas essayer ton costume pour Badine. Monsieur Valde m’a dit que tu allais être bien dans le rôle. Mais, essaye ton costume bon sang. Cesse de regarder Lise…Oui, je sais … »
« Monte sur la table, on va te faire l’ourlet. Elles sont toutes à vos pieds ».
« Salut les filles »
Je sors.
« Oh Mademoiselle Lehot, vous savez aujourd’hui c’est le 30 novembre. »
On descend l’escalier, on rentre au réfectoire. Une génoise coupée en deux avec de la crème pâtissière. Ah les bougies. Et tous chantent Happy birthday to you et bonne fête for you. C’est mon anniversaire et c’est aussi la Saint André (Lehot). Quelques petits cadeaux, quelques petits discours, on mange et tout à coup, bagarre collective :
Jean-Paul (Zenaker) – « Pas les petits suisses ! Non Claude (Brosset), pas les yaourts. Pierre (Clementi) ; n’arrache pas les cheveux de George (Claisse). Pourquoi ? Pourquoi ? …
- « C’est un con, il dit que la Comédie Française, c’est ringard. Et moi je dis que Vilar a tout inventé. Non, c’est Roger Blin non c’est Jean Marie Serreau. »
- « Arrêtez, arrêtez ! »
Maculés de petits-suisses et de yaourt. Nous voilà tous habillés. Après tout, c’est très théâtrale ces silhouettes.
- « Messieurs, Mesdemoiselles, attention nous partons pour Egleton dans une heure : L’alternance (comme au français): Musset, Corneille, Molière, Giraudoux en 5 jours. Ma cour d’honneur ! …THE FESTIVAL
Alors, la plume s’arrête là. Elle ne peut pas aller plus loin. Il n’y a plus de papier mais elle voudrait bien continuer. Elle n’a plus d’encre et puis il ne faut pas trop en dire, il faut en garder encore un peu.
Dans ma loge, les soirs de spectacle, le petit génie d’Aladin, enfin, de la salle Lagrange vient me visiter et il me donne la clé, l’histoire, l’envie, le désir. Et dans ma tête, le petit violon repart et l’archer glisse sur les cordes et le tempo reprend. Et la page blanche de la rue blanche commence à s’animer. Et Lagrange, La Thorillière, Baron, Annick B., Patrick P., Maryvonne S., Marlène J. et les autres, dans un même élan collectif, nous saluons tous. Le rideau se ferme mais je crois qu’il y aura encore beaucoup de rappels.