Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
12 juin 2014 4 12 /06 /juin /2014 11:19

Après un premier prix du Conservatoire de Toulon, Alain Leonard a suivi les cours de La Rue Blanche de 1963 à1965. De nombreuses expériences comme régisseur puis comme comédien l’amènent à se confronter à l’écriture. Il présente ses créations dans le Off Avignon qui en est encore à ses balbutiements. En 1982, face au développement exponentiel du Off, il crée l’association Avignon Public Off. En 1983, il crée et dirige Le Festival Théâtral Du Val d’Oise avec 8 communes, pour parvenir à plus de 50 villes en 2008. Il est actuellement Directeur artistique du Festival Européen des Ecoles de Théâtre de Basse Silésie (Pologne).

Être reçu à la Rue Blanche après un premier prix du Conservatoire de Toulon, confirme votre talent et autorise tous les espoirs quand on «monte à Paris». Faux départ dès le premier jour : Hébergé à la Varenne Saint Hilaire, chez mon frère, celui-ci eut la formidable idée de me prêter sa vieille Peugeot 203 qui, pour cet événement vital, refusa obstinément de partir en cette froide matinée d'automne. J'ai dû me rendre en toute hâte à la gare SNCF, prendre le premier train qui allait me transporter à la Bastille à toute vapeur (au sens propre : pas encore le RER), pour espérer arriver à l'École dans les temps. En provincial prudent, j'avais probablement pris le soin d'une marge de temps assez généreuse pour éventuellement m'y rendre à pieds !

J'avais obtenu une bourse qui permettait déjeuner et à dîner gratuitement à la cantine. Le déjeuner était servi vers 13 heures, le dîner vers 17h30 ! Il y régnait une atmosphère bon enfant qui sentait bon les colonies de vacances. A l'heure habituelle du goûter des enfants, toutes les rigolades sont permises, jusqu'aux comportements les plus saugrenus et puérils. Je crois me souvenir d'une bataille rangée de «petits suisses» qui anima l'un de ces dîners de 17h30, où seuls les quelques «privilégiés» provinciaux qui y avaient accès, furent acteurs et témoins de l'histoire ... Autre guéguerre picrocholine dont je garde un souvenir ému, fut celle des Lettristes à propos du théâtre Dadaïste, certainement moins surréaliste que la bataille des Petits Suisses. Sans vouloir l'offenser, et surtout pas dans un esprit de délation, je crois ne pas avoir oublié que mon ami Claude Quémy n'était pas étranger à l'affaire...

Les cours de secourisme n'étaient pas moins pittoresques avec les soldats, les empereurs romains, les amoureuses et les dames confidentes en costumes XVIIème siècle, allongés sur des brancards, terrassés par des fous rires qu'aucun «secouriste» ne parvint jamais à calmer ...

Teddy BILIS comédien et pédagogue accompagnait les apprentis pour les amener à se révéler et découvrir leurs possibilités personnelles. En comédie, j'étais dans sa classe. Il nous permettait d'être nous mêmes dans les personnages (emplois) classiques, quand d'autres professeurs enseignaient à jouer comme il convenait de jouer selon la tradition. Henri ROLAND, professeur érudit grand pédagogue animait un cours très prisé. Entre autre pour l'usage des e muets... N'étant pas élèves dans sa classe, nous étions très nombreux à souhaiter assister à ses cours en auditeurs libres, chaque fois que cela était possible. Sa classe était en effet souvent surchargée.

Lucien PASCAL, comédien et directeur de la scène à la Comédie Française enseignait la régie via la mise en scène. Il nous a transmis l’humilité, valeur première au service du texte du poète auteur d'une œuvre. Un homme cultivé et généreux que tout le monde aimait et respectait. Amoureux de son métier, du Théâtre, tout en soulignant les mérites du théâtre de répertoire, de l'alternance et de la Rue de Richelieu en particulier. L'Homme et l'Artiste, fut un exemple et un modèle. L'un de nos exercicesetait de concevoir une mise en scène. J'ai dû plancher sur un projet de mise en scène de Lorenzaccio, de Musset. Une camarade, élève décoratrice de l'école, a conçu un dispositif transformable à partir d'éléments mobiles ... j'ai oublié son nom, comme ceux des comédiens choisis, sauf celui de Daniel IVERNEL qui m'a semblé incontournable à cette époque pour jouer le Duc.

Paul BLANCHART, auteur dramatique et historien nous faisait vivre l'histoire du théâtre, qui devenait un peu la nôtre. Je souhaitais aller plus loin et avais envisagé de chercher en librairie le numéro du Que Sais-je ?, qu'il avait écrit sur «l'Histoire de la Mise en Scène». Introuvable en librairie. Sauf vers 1 heure du matin à Pigalle. Eurêka, dans un déballage de brochures et de magazines divers fort éloignés de mes préoccupations artistiques et théâtrales. Incroyable et insolite. J'ai remercié donc chaleureusement ces étonnants «animateurs culturels» des nuits de Pigalle.

D'autres professeurs ne me semblaient pas particulièrement attachants. Jean MEYER, le Directeur, animait «sa Grand Messe» hebdomadaire du Jeudi avec tous les élèves de l'École. Il ne m'en est rien resté. Robert MANUEL enseignait la Diction. Il avait la dent dure et la plaisanterie facile aux dépens de certains, pendant que d'autres, pour plaire au Maître, s'esclaffaient à chaque bon mot. Je dois avouer que je faisais partie de ceux qui n'en riaient pas toujours. J'ai pensé, plus tard, qu'il devait agir de la sorte, dans le but de nous préparer a certaines rencontres professionnelles peu aimables auxquelles nous aurions plus tard à faire face ...

Parmi les élèves, j'avais repéré trois «grands comédiens» ! Selon moi, sans me préoccuper de l'avis des professeurs, ni de ceux des camarades de l'école. Il n'y avait dans mon esprit aucune notion de hiérarchie pouvant laisser croire qu'ils étaient meilleurs. Ils étaient simplement d'ailleurs. Claude DEGLIAME, Monique VERET et Francis ARNAUD m'apparaissaient « habités »par la grâce - ou un don particulier. Monique Veret ne souhaitant pas se commettre dans des productions médiocres face à sa notion exigeante de l'Art, elle a préféré se consacrer à un autre métier. Dommage. Claude Degliame, comédienne douée d'une voix grave et chaude, en harmonie avec une allure fière de tragédienne, s'est avérée par la suite et jusqu'à aujourd'hui, être une artiste authentique que j'ai eu le plaisir de suivre de loin dans de belles expériences théâtrales portées par des projets audacieux, riches et novateurs. Francis Arnaud est l'ami qui m'a fait entendre pour la première fois le nom du grand poète René CHAR. Dans le contexte d'une école, l'élève qui s'intéresse aux poètes «ne peut pas être tout à fait mauvais». Il a participé lui aussi à de belles aventures, jusqu'à son dernier film «La graine et le mulet», qui lui a été dédié après son décès. Un grand comédien au parcours engagé, exigeant et passionné.

J’eu aussi le plaisir de retrouver Edith GARNIER, amie personnelle et issue comme moi, du Conservatoire de Toulon. Admise au Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique de Paris, avant son entrée au Français, elle a joué dans diverses productions théâtrales et télévisuelles. Catherine HIEGEL, que j'ai croisée il y a très longtemps, dans les coulisses du Théâtre de Dix Heures fait la carrière que l'on sait à la Comédie Française et ailleurs. A l'occasion du MASA d'Abidjan en Côte d'Ivoire, j'ai revu Ambroise M'BÏA, comédien du Cameroun venu faire ses études à la Rue Blanche. Micheline UZAN s'est illustrée notamment avec sa compagnie qui harmonisait. Théâtre et Sciences. Une belle entreprise artistique originale. Nous avons tous vus à l'affiche Maurice RISCH ou Patrick PREJEAN. J'ai souvent retrouvé Bernard SPIEGEL à Avignon et au Théâtre de la Colline à Paris, dans des petites productions mais aussi dans des spectacles aux budgets plus conséquents. Tout au long de ces années, j'ai revue Annie Degay dans plusieurs festivals, et aussi Claude QUEMY à l'occasion de plusieurs spectacles qu'il a créés, dans ses fonctions à Nanterre, ainsi que dans ses diverses activités militantes. Jean-Louis THAMIN, dont la carrière est connue de tous, a monté dans le cadre de l'école «Le Sicilien ou l'Amour peintre », de Molière. Il m'avait confié le rôle de Sganarelle. J'ai oublié les noms des autres interprètes. Je ne sais plus ce qu'il est advenu de ce projet. Jacqueline MESSA et Annie DEGAY, élèves de la même classe ont eu l'idée commune de monter deux pièces de Federico Garcia LORCA. Viviane ELBAZ jouait Bélise, dans la mise en scène de Jacqueline MESSA, dans laquelle je jouais Don Perlimplin. Henri MOATI interprétait le vieux Savetier dans «la Savetière Prodigieuse» mis en scène par Annie DEGAY. Nous avons joué ces deux spectacles ensemble pour quelques représentations, dont une ou deux à Aubervilliers qui était, je crois, CDN en préfiguration avec Gabriel GARRAN.

Après des deux années merveilleuses passées dans cette école pour laquelle l'atmosphère conviviale et chaleureuse m'apparaît tout à fait essentielle au delà de la qualité des enseignements, je dois dire que chaque fois qu'il m'a été donné de rencontrer des jeunes comédiens ou techniciens, issus de la Rue Blanche, j'ai eu le sentiment d'accueillir une personne de ma famille. Cela n'était forcément déterminant pour une collaboration future, mais cela demeurait un à priori très favorable dans nos professions où l'ambition de devenir «intermittent» dénature un métier où les notions d'Art et de savoir-faire semblent parfois appartenir à d'autres galaxies.

On peut dire que cette belle école nous a laissé à chacun d'excellents souvenirs, tant par le talent et le bonheur de transmettre des professeurs, que par l'atmosphère de camaraderie qui régnait en général parmi les élèves. L'administration du Centre était à la hauteur; manifestant une sévérité affectueuse quand il le fallait, mais aussi beaucoup de compréhension vis à vis des problèmes rencontrés, ou crées par certains élèves.

Alain Leonard

Partager cet article
Repost0

commentaires